Pourquoi les innovations venant d’Afrique sont-elles mises de côté ?

Photo ci-haut : Musulmans pratiquants à la mosquée de Dakar, Sénégal (15 mai 2020)

Crédit photo : John Wessels/AFP via Getty Images

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Vous rappelez-vous, au début de la pandémie du Covid-19, les spéculations qui couraient en stipulant à quel point les dégâts seraient désastreux si le virus avait à se répandre sur le continent africain ? Je m’en souviens. Il y avait cette grande anxiété sur ce que cela représenterait pour les pays en voie de développement ayant une population à faibles revenus, pour les économies informelles dominantes, mais plus difficiles à réguler et ayant beaucoup moins d’établissements de santé qu’au Royaume-Uni ou en Italie.

Durant la pandémie, il y aura eu de nombreuses erreurs techniques et de jugement, puis des victimes, et chacune d’elle est une tragédie. Personne ne peut prédire le cours des choses à venir car le continent africain, comme le reste de la planète, n’est pas encore sorti du bois. Mais une chose, qui n’est pas à négliger, est arrivée : les nations africaines, réalisant rapidement que les dépistages et hospitalisations massives (et coûteuses) étaient financièrement inenvisageables pour les populations, ont dû faire preuve de créativité pour trouver des approches alternatives.

Prenons deux pays africains que je considère comme mes pays natifs, le Sénégal et le Ghana. Le Sénégal développe en ce moment même des tests de dépistage contre le virus Covid-19 qui coûteraient 1$ par patient (1), lesquels, on l’espère, pourraient détecter en moins de 10 minutes si le ou la patient.e est porteur.euse (ou a été porteur.euse) du virus, grâce à l’analyse des antigènes contenus dans la salive, ou par les anticorps. Il est difficile d’établir un comparatif avec les prix excessivement élevés des tests de dépistage que l’on retrouve au Royaume-Uni, mais plusieurs d’entre eux utilisent une réaction de polymérisation en chaîne, ou RPC, pour détecter le virus, ce qui coûte des centaines de dollars aux patient.es. Je peux confirmer la situation, ayant reçu cette semaine dans ma boîte aux lettres un tract m’offrant la possibilité de me procurer un test de dépistage au coût de 250 livres (environ 475$, ndt).

Le Sénégal est dans une position avantageuse puisque sa réaction face à la pandémie à venir commença dès le mois de janvier, aussitôt les premières alertes lancées à l’international par l’OMS. Le gouvernement fit fermer ses frontières, initia un plan clair sur le traçage de contact des citoyen.nes et, puisque nous parlons d’un pays où les ménages occupent plusieurs professions, offrit un lit pour tous.tes les patient.es atteint.es du virus, que ce soit dans un hopital ou dans un centre de santé communautaire.

À ce jour, le Sénégal aura eu au total 33 victimes sur une population de 16 millions d’habitant.es. Chaque décès aura été reconnu individuellement par le gouvernement. Chaque famille aura pu recevoir des condoléances et des funérailles pour leurs défunt.es, puisqu’il est possible de voir la personne décédée quand le nombre de victime est aussi bas. Le Royaume-Uni, à chacune de ces étapes, aura fait exactement l’opposé et fait maintenant face à un bilan dépassant les 35 000 décès.

Le Ghana, avec ses 30 millions d’habitant.es, fait face à un cas semblable à celui du Sénégal puisque le nombre de décès est aux environs de 30. Le Ghana aura créé un réseau extensible de traçage, créé une large communauté de travailleur.euses de la santé et de bénévoles, et privilégié l’utilisation d’autres techniques innovatrices telles que le  »test piscine », dans lequel plusieurs échantillons sont testés en même temps (jusqu’à plusieurs dizaines à la fois, ndt), puis ensuite testés individuellement s’il s’avère qu’un cas positif est détecté dans ledit bassin. Les avantages de cette approche sont en ce moment étudiés et décortiqués par l’OMS.

Le peu d’accès à des médicaments coûteux, sans parler du manque de confiance bien fondé et historique envers les compagnies pharmaceutiques, de la part des pays africains, a nourri l’intérêt envers ce que les plantes médicinales ont a offrir comme bénéfices. Une plante en particulier a su attirer l’attention des pays africains – Artemisia annua, plus connu sous le nom d’armoise, qui appartient à la famille des marguerites. Elle attira l’attention après qu’Andry Rajoelina, le président du Madagascar, déclara que cette plante était un  »remède » pour le Covid-19.

De tels propos peuvent nous rappeler les excès de confiance de Donald Trump et l’OMS dû avertir que plusieurs essais cliniques seraient nécessaires avant de pouvoir appuyer l’utilisation de cette plante comme traitement viable et sécuritaire envers la maladie. J’ai pris contact avec le très respecté Institut Max Planck en Allemagne, qui procède en ce moment à des essais cliniques sur les différentes souches de la même plante, dans ce cas-ci provenant de l’État du Kentucky (É-U).

Cette plante spécialement cultivée, souche plus puissante également de l’armoise, est testée sur les cellules pour déterminer son efficacité à combattre les infections de coronavirus et les résultats sont pour le moment, selon le Professeur Peter Seeberger,  »très intéressants ». Les essais cliniques sur des êtres humains ont de bonnes chances de voir le jour. Plus de 20 pays africains ont déjà commandé la version Malgache de la plante, grâce à la confiance accordée à Rajoelina, qui a été vu à des rencontres officielles et sur des plateaux de télévision avec une bouteille contenant un liquide brunâtre fait à base d’armoise, vantant ses bénéfices.

La raison principale pour laquelle vous n’avez pas entendu parler de cette histoire, dit-il, est dû à l’attitude condescendante des pays occidentaux envers les pays africains quand ces derniers parlent d’innovation.  »Si c’était un pays européen qui avait découvert ce remède, y aurait-il autant de doutes quant à son efficacité et à sa légitimité ? » demanda-t-il en entrevue sur une chaîne de télévision française.  »Je ne pense pas »

Il faudra attendre la confirmation des scientifiques et chercheur.es pour dire si ce  »remède » est réellement efficace (l’Académie Nationale de Médecine au Madagascar fait partie des institutions appelant à réunir plus de preuves de son efficacité et de sa sûreté d’utilisation). Mais Rajoelina a un point, en ce qui concerne l’attitude eurocentrique face au problème. Le continent africain a une histoire riche en innovation et en solution de problème – il suffit de regarder comment l’argent mobile et la fine technologie l’a transformé en l’une des régions les plus averties numériquement dans le monde (2).

Il a été prouvé à maintes reprises en quoi une attitude condescendante envers l’Asie de l’est a eu pour conséquences, pour les pays européens, d’être pris par surprise par la propagation de cette maladie. Aujourd’hui, le même état d’esprit semble voir le jour pour s’assurer que nous ne tirions pas les leçons que l’Afrique a à offrir pour surmonter les problèmes liés à la pandémie.

• Afua Hirsch est journaliste chez The Guardian.

Traduction : Thomas Duret
Correction : Stéphanie Duret

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Article original : https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/may/21/africa-coronavirus-successes-innovation-europe-us?CMP=Share_AndroidApp_News_Feed&fbclid=IwAR2euYLTenN-IfBgGmkq0cK5Mp-v2RMLIgcQp8MY11yJfmlIUws3s75awIg

Notes de bas de page :

1- https://www.newscientist.com/article/mg24632823-700-cheap-and-easy-1-coronavirus-test-to-undergo-trials-in-senegal/

2- https://www.theguardian.com/business/2016/jul/25/africas-tech-pioneers-we-have-become-an-internet-consuming-culture

L’Internet que l’on nous avait promis

Le Web ne nous a jamais semblé aussi collaboratif depuis sa création. Pourquoi avons-nous eu besoin d’une pandémie pour que cela ait lieu ?

UN TEXTE D'ANGELA MISRI paru dans The Walrus
ILLUSTRATION DE DALBERT B. VILARINO
Mis à jour le 1er Mai 2020 – 16:00
Publié 29 avril 2020 – 13:04

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Depuis la mise en ligne en 1991 du premier site internet, le monde numérique s’est fragmenté de plusieurs manières donnant libre cours à des comportements nocifs, comme la vengeance pornographique ou l’intimidation numérique, se transformant en une archive contenant tout ce qu’il existe de mauvais dans notre humanité. Mais, au milieu d’une pandémie globale, comme beaucoup d’entre nous sommes en isolement, le World Wide Web a commencé à réfléchir une version de ce que son inventeur, Tim Berners-Lee, avait imaginé : un groupe d’idées partagées non pas dans un but économique ou d »obtenir une certaine gloire, mais bien dans le but de développer et concentrer le meilleur du savoir humain.

Que ce soit la compagnie Zoom offrant des améliorations et avantages gratuitement pour les écoles, les compagnies de télécommunication canadiennes annulant les frais de communications interurbaines pour tous.tes ceux.celles travaillant de chez eux.elles, ou encore Uber offrant son service de livraison de nourriture gratuitement pour les travailleur.es de la santé, l’écosystème numérique voit naître un boom d’altruisme au niveau organisationnel.

L’entraide semble également s’étendre aux interactions entre les utilisateur.trices en ligne. Les gens prennent contact plus régulièrement avec des personnes éloignées dans leur cercle social. Des étranger.es sur Twitter offrent généreusement de payer les dépenses essentielles à d’autres personnes dans le besoin. Les professionnel.les du milieu de la santé mentale, des professeur.es de yoga et des auteur.es offrent leurs services en ligne – gratuitement – afin de permettre aux confiné.es de relâcher la pression et briser l’isolement. Même sur Reddit, le forum où l’on jète allègrement du vitriol sur tout dès que possible, Bill Gates a hébergé un événement de style FAQ (Foire aux Questions), appuyé par son conseiller scientifique en chef et de la tête dirigeante de la Fondation Gates pour la Santé. Avec l’aide de ces médecins, Gates répondait aux questions sur des sujets aussi variés que les dépistages et test du coronavirus, comment enseigner les règles de sécurité pendant une pandémie et dans quelle durée raisonnable pouvons-nous espérer l’apparition d’un vaccin viable.

Il est vrai que ce n’est pas la première fois qu’une vague de support massif en ligne voit le jour, comme celle qui avait eu lieu pour le FDNY (Département des pompiers de la ville de New-York) après les attaques du 11 septembre. Mais ces moments avaient été submergés par une rhétorique haineuse (notamment avec les théories du complot). La mésinformation semble se répandre aussi rapidement que les faits. Alors que la mésinformation, le racisme et la violence sont des problèmes qui existent toujours malgré la pandémie, les citoyen.nes et utilisateurs.trices semblent plus engagé.es à se réunir autour de ce que nous avons en commun – notre peur et les potentiels scénarios de sortie de cette crise provoquée par le COVID-19.

En 1989, Tim Berners-Lee travaillait pour la OERN (Organisation Européenne de la Recherche en Nucléaire) quand il est arrivé avec cette idée de pouvoir échanger de l’information pour les chercheur.es travaillant sur différents ordinateurs. Cela prendra encore une année pour que cette idée, au début appelée Mesh, devienne une version préliminaire du Web. À cette époque, l’employeur de Berners-Lee mit l’idée de côté tout en lui permettant de pouvoir continuer à écrire le code qu’il pensait pouvoir être l’architecture d’une plate-forme permettant le partage de documents en temps réel. Les débuts de l’internet existaient déjà grâce à ARPANET et au financement du Département de la Défense des États-Unis, mais ce fut Berners-Lee qui fut la clé pour rendre cet outil en construction accessible à un large public. Au tout début, l’internet était un lieu où les codeur.es et programmeur.es pouvaient partager leur travaux gratuitement et en libre accès.

En avril 1993, l’OERN et Berners-Lee rendirent le programme du Web accessible au domaine public, donnant et cédant la licence et le code gracieusement – sans droit de suite aucun et pour toujours. L’année suivante, Berners-Lee fonda le Consortium du Web, une communauté internationale dédiée au développement des standards et recommandations du web, en promouvant les valeurs centrales de l’ouverture, de l’interopérabilité et de la neutralité marchande. Tout ce qui allait à l’encontre de ces principes fondateurs – que ce soit par les développeur.es, les programmes ou le codage – présentait un risque de causer des tensions dans la communauté grandissante. Ce type de propriété coopérative semble avoir fait apparaître la mentalité que nous ne devrions pas payer pour des choses qui sont normalement gratuites à partager ou à créer. Vous rappelez-vous quand nous avions à acheter un album entier même si nous n’aimions qu’une seule chanson ? Nous sommes maintenant dans une logique de contribution volontaire alors que nous sautons d’une plate-forme musicale à une autre tout en évitant les publicités et les responsabilités financières. À ce jour, l’industrie traditionnelle – principalement celle du média papier – en souffre et n’arrive pas à reproduire les manières de créer des revenus comme à l’époque pré-internet.

Par contre, la croyance que l’internet était gratuit et donc propriété publique fit baisser les standards de qualité des discours. N’importe qui pouvait écrire et partager n’importe quoi et l’anonymat montrait qu’il n’y avait que très peu d’impacts sur la réalité. Le pendule vacilla de la coopération bénévole du début à un côté plus sombre de la nature humaine, où les communautés pouvaient se rassembler autour d’idée violentes et haineuses. Avec l’apparition de la pandémie, le retour au pouvoir de la solidarité en nombre pourrait permettre de rétablir la donne en rétablissant le web de son côté le plus sombre.

Les pandémies ayant eu lieu dans le passé, de la peste noire à la grippe espagnole, ont répandu la mésinformation et la peur aussi intensément alors que les virus se déplaçaient d’une population à l’autre. Au milieu du XIVème siècle, quand la peste bubonique en était à son paroxysme, une des principales sources d’information était le bouche à oreille, ce qui s’avérait être beaucoup trop lent considérant la vitesse de propagation du virus. Alors que ceux.celles ayant succombé.es au virus en premier étaient enterré.es, les Européen.es et les Asiatiques dans les territoires avoisinants vaquaient à leurs occupations et menaient leur vie comme si de rien n’était, sans être conscient.es que la peste se répandrait à travers toutes les routes de commerces, sur les bateaux et dans les villages.

Apparue en 1918, la grippe espagnole – ainsi appelée parce que les journalistes espagnol.es ne souffrant pas de la censure furent capable d’en parler massivement pendant la guerre, et non pas parce qu’elle avait vu le jour en Espagne – se répandrait et atteindrait un bilan final d’environ 100 millions de morts à travers le monde. Le Canada aura souffert des pertes allant entre 50 000 et 55 000 canadien.nes et, suite à ce désastre, le Ministère de la santé sera mis sur pied, mais les nouvelles sur le taux de mortalité du virus ne dominèrent pas les médias. Pire encore, l’information sur sa dangerosité et sa viralité fut sous-représentée dans les médias en raison d’une censure de la presse au profit d’informations portant sur les efforts de guerre du pays. Dans les journaux, les nouvelles ayant rapport au virus étaient mises en relation avec le conflit armé. Parfois, les articles relatant des informations sur la maladie ne faisaient même pas la première page.

Le Canada ne fut pas le seul pays à commettre cette erreur. Plusieurs autorités locales en Italie et aux États-Unis minimisèrent la sévérité des éclosions en niant le nombre de morts ou la capacité de transmissions. Le directeur de la santé publique de la ville de Philadelphie, Wilmer Krusen, marqua l’histoire pour avoir minimisé les effets de la maladie sur la population. Alors que d’autres professionnel.les de la santé publique restreignaient l’accès aux rassemblements de masse, Krusen autorisa la tenue de la Parade des Bons du trésors de la Ville de Philadelphie comme prévu (réunissant près de 200 000 personnes – ndt). Suite à cela, au printemps 1919, il fut estimé que 12 000 personnes moururent de la grippe espagnole à Philadelphie.

Les pandémies du passé n’eurent pas le réseau de communications qu’internet nous offre aujourd’hui. Avec le virus COVID-19, nous avons été averti grâce à internet qu’une nouvelle maladie se répandait, et ce très tôt après sa découverte, alors que certains dirigeant.es dans les gouvernements minimisaient sa dangerosité. À la fin décembre 2019, le docteur Li Wenliand de Wuhan utilisa la plateforme WeChat pour avertir ses collègues médecins à l’international de l’apparition d’un virus semblable au SRAS chez certains de ses patient.es. Les autorités chinoises firent tout ce qui était en leur pouvoir pour entraver ces communications, mais à ce moment-là, il était déjà trop tard, l’alerte avait été lancée. Internet permit à l’information de se transmettre d’une personne à l’autre grâce à des témoignages de citoyen.nes et de l’information sur le terrain, ce qui permit à une certaine conscientisation face au danger de voir le jour, bien que beaucoup de gens et de gouvernements dans le monde furent plus lent à réagir.

Aux environs de l’époque où le virus fut déclaré comme étant au stade de pandémie, quand des médias, tels que Fox News, déclamaient à qui voulait l’entendre que la situation prenait des allures disproportionnées, la vérité était re-tweeté et re-posté sur les médias sociaux, la faisant apparaître de plus en plus haut sur nos fils d’actualité. Au même moment, alors que les gens avaient accès à l’information, ielles avaient également le choix de l’ignorer. Puisque de plus en plus de gens s’informent à partir des médias sociaux – où les algorithmes peuvent proposer de l’information en fonction des intérêts de la personne et exclure ce qui ne les intéresse pas – il y eut un risque que le sérieux de la situation soit perçu de manière différente dépendant de comment un.e utilisateur.trice perçoit le monde. Mais l’information vit le jour malgré tout, tout comme ces récits anecdotiques à propos de célébrités ayant contracté le virus (tel que Tom Hanks ou Idris Elba). Les récits de citoyen.nes se répandirent de plus en plus, et alors que le nombre de victimes continuait d’augmenter, ce fut au tour des médecins professionnel.les d’afficher leurs témoignages émouvants en temps réel sur Youtube, Twitter et Facebook.

Nous semblions être dans une situation sans précédent où les conversations authentiques pouvaient voir le jour. Et c’est exactement ce dont nous avions besoin pour nous rappeler pourquoi nous avons internet.

Il y a un stéréotype terrible qui entoure les usagers experts de l’internet – l’homme qui vit dans le sous-sol chez sa mère, dans la misère et la crasse, frustré contre la société et prêt à attaquer dans le dos, anonymement, dans le confort et la sécurité que lui offre son écran. Ce type de personne existe probablement, mais l’utilisateur.trice d’internet de 2020 se rapproche beaucoup plus de ce que nous sommes intimement, c’est-à-dire des êtres humains qui se tiennent au courant, s’informent et tentent de briser la solitude de nos vies en confinement.

Les trolls et les arnaqueur.es n’ont pas attendu l’apparition de la pandémie pour sévir. Ielles utilisent internet pour profiter et abuser des personnes vulnérables, et en répandant de fausses informations en les rendant virales. Mais les compagnies informatiques ont créé des mesures pour répondre et étouffer les potentiels abus. Le site d’Amazon identifie et bloque les personnes mal intentionnées qui s’approprient des stocks de vivres et besoins essentiels en grande quantité en les empêchant de revendre leurs stocks à profit. Twitter et Facebook retirent le contenu ayant un lien avec la pandémie qui pourrait causer des dégâts et des compagnies posent des actions concrètes pour enrayer l’épandage de fausses nouvelles sur le web.

Les gens se battent pour du papier toilette dans les supermarchés et les gouvernements prennent des mesures strictes et sévères contre les citoyen.nes qui brisent ou refusent la quarantaine, mais l’ambiance générale semble relativement positive sur internet, là où les gestes de solidarité se multiplient à chaque jour. Il sera intéressant d’observer si la communauté du web continuera d’agir ainsi lorsque nous pourrons retourner à la normale. Nous sommes tous.tes des participant.es (que nous le voulions ou non) à ce que le magazine The Atlantic appelle  »la plus grande expérience naturelle d’ordre comportemental au monde ».

La question que nous devons nous poser maintenant est celle-ci : pouvons-nous faire en sorte que ces changements soient permanents ? Pouvons-nous revenir à l’essence même de ce que devait être internet au départ, selon Berners-Lee ? L’année dernière, à l’occasion des célébrations du 30e anniversaire d’internet, Berners-Lee nomma la  »bataille du web » comme étant la bataille la plus importante de notre époque.  »Les citoyen.nes doivent tenir les compagnies et les gouvernements comme responsables de leurs actions et de leurs engagements prit, en leur rappelant qu’ils doivent respecter et considérer le Web comme étant une communauté globale où les citoyen.nes sont le coeur même de la plate-forme », dit-il.  »Si nous n’élisons pas des politicien.nes qui ont à coeur un Web gratuit et ouvert pour tous.tes, si nous ne faisons pas notre part pour encourager en ligne les dialogues constructifs, si nous continuons de cliquer et de donner notre consentement sans demander à ce que nos droits numériques soient respectés, nous abandonnons notre responsabilité de faire de ces problèmes une priorité aux agendas politiques de nos gouvernements. »

Si, en tant que majorité, nous refusons de voir les réalités inconfortables du Web en ne partageant de l’information que dans nos chambres d’échos, nous perdrons le progrès et les avancements faits pendant toutes ces années à un moment où soutenir une communauté numérique collaborative était encore entre nos mains.

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Lien de l’article original : https://thewalrus.ca/this-is-the-internet-we-were-promised/

Traduction : Thomas Duret

Correction : Stéphanie Duret

LA PANDÉMIE N’EST PAS UN CYGNE NOIR MAIS PLUTÔT LA PREUVE DE L’EXISTENCE D’UN SYSTÈME GLOBAL FRAGILE

Crédit photo : Michael Appleton / NYT / Redux

Nassim Nicholas Taleb dit que sa profession est  »probabiliste ». Mais sa vocation est de montrer comment ce qui est imprévisible devient soudainement probable.

Nassim Nicholas Taleb est  »irrité », dit-il à Bloomberg Television le 31 mars dernier, à chaque fois que la pandémie du coronavirus est indiquée comme étant un  »cygne noir », un terme qu’il a créé et utilisé pour identifier les événements qui sont autant rares que catastrophiques, dans son livre best-seller de 2007 du même nom. Le Cygne Noir avait pour but d’expliquer pourquoi, dans un monde connecté, nous avions besoin de changer nos manières de faire en ce qui a trait aux affaires et aux normes sociales – et non, comme il le dit récemment, de donner  »un cliché pour n’importe quels événements infortunés qui puissent nous arriver ». De plus, la pandémie était totalement prévisible – lui, comme Bill Gates, Laurie Garrett et d’autres, l’avaient prédite – c’est tout au plus un  »cygne blanc », si jamais il en est un.  »Nous avons fait connaître notre mise en garde que, effectivement, il faudrait la tuer dans l’oeuf, » dit Taleb à Bloomberg. Les gouvernements  »ne voulaient pas dépenser quelques cents en janvier; ils seront maintenant obligés de dépenser des trillions de dollars. »


L’avertissement auquel Taleb fait référence est apparu dans un article le 26 janvier dernier, article qu’il a co-écrit avec Joseph Norman et Yaneer Bar-Yam, quand le virus était encore majoritairement confiné en Chine. L’article mentionne que, grâce à une  »connectivité croissante », la propagation serait  »non-linéaire »- deux éléments-clés qui ont contribué aux inquiétudes de Taleb. Pour les statisticien.nes, la  »non-linéarité » décrit des événements qui ressemblent beaucoup aux pandémies : des conséquences disproportionnées en lien avec des causes connues (la structure et la croissance d’éléments pathogènes, par exemple), venant de causes à la fois inconnues et impossibles à connaître (le temps d’incubation du virus chez l’humain ou encore des mutations aléatoires), ou des interactions excentriques provenant de causes variées (les besoins du marché et les voyages en avion), ou encore d’une croissance exponentielle (les contacts humains dû au grand nombre de réseaux existants), ou toutes ces causes en même temps.

 »Ce sont des problèmes de ruines potentielles », peut-on lire dans l’article, là où l’exposition peut  »amener à une certaine éventuelle extinction ». Les auteurs appellent à  »réduire et élaguer les réseaux de contacts », et d’autres mesures que nous associons maintenant au confinement et à la distanciation sociale.  »Les décisionnaires doivent agir rapidement », concluent les auteurs,  »afin d’éviter l’erreur selon laquelle le réponse appropriée de l’incertitude face à une éventuelle catastrophe irréversible équivaut à de la « paranoïa » »( »Si nous avions utilisé les masques à l’époque » – fin janvier –  »nous aurions pu éviter cette paranoïa », m’a dit Taleb).

Pourtant, pour les gens qui connaissent son travail, l’irritation de Taleb peut sembler un peu forcée. Sa profession, comme il le dit, est  »probabiliste ». Mais sa vocation est de dévoiler comment ce qui est imprévisible devient très rapidement probable. Si Taleb a eu raison à propos de la propagation de cette pandémie, c’est parce qu’il est très conscient et alerte des dangers que représentent la connectivité et la non-linéarité en général, que ce soit pour les pandémies ou pour d’autres calamités miraculeuses dont le Covid-19 est un signal d’alarme.  »On me demande constamment la liste des quatre prochains cygnes noirs », me dit Taleb, et nous passons complètement à côté du sujet. D’un côté, le fait de se concentrer sur son article paru en janvier nous détourne de son objectif principal qui est de construire des structures politiques de manière à ce que les sociétés puissent supporter le choc de tels événements imprévisibles.

Bien sûr, ce qui donne des ulcères à Taleb ce sont les économistes, les représentant.es, les journalistes et les décisionnaires – les  »empiriques naïfs »- qui pensent que nos lendemains ont de très bonnes chances d’être comme nos jours passés. Il explique dans une entrevue que ce sont ces personnes qui, en consultant la  »courbe en cloche », se concentrent sur le milieu de la courbe en oblitérant totalement les  »larges extrémités » – les événements qui semblent  »statistiquement isolés », mais qui  »contribuent le plus aux résultats » en précipitant la chaîne de réaction, dit-il. (La semaine dernière, Dr Phil disait à la journaliste Laura Ingraham de Fox News qu’il faudrait ouvrir le pays de nouveau, insistant, à tort, que  »trois cent soixante mille personnes meurent à chaque année à cause des piscines, nous ne fermons par le pays pour autant ». En réponse, Taleb écrivit sur Twitter :  »Se noyer en nageant est extrêmement contagieux et multiplicatif. ») L’empirisme naïf nous place de plein pied dans  »le Cygne Noir », dans le  »Médiocristan ». Nous vivons en ce moment en  »Extrémistan ».

L’impatience de Taleb, âgé de soixante et un an, ne vient pas de nulle part. Quand il était jeune, il a vécu la guerre civile au Liban, guerre ayant été précipitée par les milices palestiniennes s’enfuyant de Jordanie pour échapper à la chute, en 1971, puis suivit des affrontements sanglants entre les chrétiens maronites et les musulmans sunnites, amenant avec eux les Shiites, les Druzes et les Syriens du même coup. Le conflit aura duré quinze ans, laissant derrière presque quatre-vingt-dix milles victimes.  »Ces événements étaient totalement inexplicables, mais des personnes intelligentes ont pensé être capables de donner des explications – après coup », écrit Taleb dans son livre Le Cygne Noir.  »Plus la personne est intelligente, plus ses arguments sembleront faire sens. » Mais qui aurait pu prédire  »que les populations servant de modèles de tolérance auraient pu devenir du jour au lendemain les peuples les plus barbares qui soit ? » Considérant les atrocités que le XXème siècle aura vu naître, la question semble ingénieuse, mais l’expérience de Taleb prend ses racines dans l’expérience de la violence elle-même. Il devint, avec le temps, fasciné, outré par les extrapolations d’une normalité illusoire – la banalité du vice.  »J’ai revu par après la même compréhension illusoire envers les succès d’affaires et dans les marchés financiers, » écrit-il.

 »Après » commence en 1983 quand, après être passé par l’université à Paris et avoir obtenu une Maîtrise en Gestion des Affaires, Taleb est devenu un courtier d’options –  »son identité primaire », dit-il. Durant les douzes années qui suivront, il fera deux cent mille transactions et examinera plus de soixante-dix mille rapports sur le risque de gestion d’affaire. Pendant cette période, il développera également une stratégie d’investissement qui permet de s’exposer à des pertes régulières, mais petites, tout en se positionnant dans une situation avantageuse en cas de gains irréguliers, mais massifs – comme un aventurier capitaliste. Il explore particulièrement les scénarios de dérivatif : les ensembles d’actions où les  »larges extrémités », la volatilité des prix, par exemple – peuvent à la fois enrichir et appauvrir les courtiers et le font de manière exponentielle plus l’échelle du mouvement est grande.

Il y a eu ces années, où, emboitant le pas au Japon, de très grandes usines américaines se sont converties au type de production  »juste à temps », qui impliquait d’intégrer et de synchroniser la chaîne d’approvisionnement afin de ne commander les produits en question seulement lorsque nécessaire, souvent en privilégiant un seul et unique fournisseur autorisé. L’idée était que de réduire l’inventaire permettait de réduire les coûts. Mais Taleb, extrapolant en se servant de son expérience de courtier à risque, croyait que de  »faire de la gestion sans coussin de protection était irresponsable », parce que les événements de  »larges extrémités » ne peuvent jamais être complètement évités. Comme énoncé dans le rapport mensuel de la Revue d’Affaires de Harvard, les fournisseurs chinois ayant dû fermer leurs portes pour cause de pandémie et cela a eu pour effet d’entraver la capacité de production d’une majorité des compagnies qui dépendaient d’elle.

L’apparition des réseaux d’information globale a amplifié les inquiétudes de Taleb. Il vit une impatience particulière envers les économistes qui virent ces réseaux comme étant stables – qui croyaient que la moyenne des pensées ou des actions, provenant d’un groupe toujours plus vaste, créerait un standard de tolérance toujours plus grand – et qui croyaient que les foules ont une sagesse, et les plus grandes foules une plus grande sagesse. Ainsi connectés, les acheteurs et vendeurs institutionnels étaient supposés produire des marchés dits  »rationnels », stables, une supposition qui semblait justifier les dérégulations des produits dérivés, en 2000, ce qui accéléra le crash de 2008.

Comme Taleb me disait,  »Le grand danger a toujours été une surabondance de connectivité. » Permettre la prolifération de réseaux globaux, autant physiques que virtuels, incorpore inévitablement des risques à  »extrémités larges » dans un système toujours plus interdépendant et fragile : on parle entre autres des agents pathogènes ou des virus numériques, ou l’exposition au  »hacking » des réseaux d’information, ou les gestions irresponsables de budget par les institutions financières ou les gouvernements d’état ou encore les attentats terroristes spectaculaires. N’importe quel événement nommé ci-haut peut enclencher une réaction en chaîne, une chute massive – un vrai cygne noir – de la même manière qu’un seul transformateur électrique peut créer une panne électrique généralisée dans un secteur.

Le coronavirus a initié un mouvement pour les citoyen.nes ordinaires dans la cohue ésotérique que Taleb décrit dans ses livres. Qui peut prédire les changements dans les pays quand la pandémie sera terminée ? Ce que nous savons, dit Taleb, est ce qui ne peut continuer d’exister tel quel. Il dit être  »trop cosmopolite » pour voir les réseaux globaux disparaître, malgré que le scénario soit envisageable. Mais il aimerait que soient créés des équivalents institutionnels des  »systèmes de sauvegarde, des protocoles gardes-fous, des disrupteurs de circuits », beaucoup d’idées qu’il résume dans son ouvrage préféré, le quatrième,  »Antifragile », publié en 2012. Pour les pays, il envisage des principes politiques et économiques qui équivalent à une de ses stratégies d’investissement : que les exécutifs dans les gouvernements et corporations acceptent qu’il puisse y avoir peu, ou moins de gains dans leurs investissements financiers, tout en se protégeant des pertes catastrophiques.

N’importe qui ayant lu les  »Federalist Papers » peut deviner où veut en venir Taleb. La  »séparation des pouvoirs » est de loin le mode de gouvernance le moins efficace ; accomplir la moindre tâche implique un procédé chronophage et complexe afin d’obtenir un consensus dans les zones de pouvoirs. Mais James Madison comprit que la tyrannie – peu importe à quel point cette idée était loin dans la tête des potentiels présidents de l’époque – était désastreuse autant pour une république que pour la condition et les droits humains, d’où la nécessité d’atténuer les éléments permettant l’élévation de sa structure. Pour Taleb, un pays antifragile encouragerait la distribution du pouvoir dans de plus petites structures, plus locales, expérimentales et auto-suffisantes – en gros, construire un système qui pourrait résister aux aléas plutôt que de s’écrouler au moindre choc. (Le terme qu’il emploie pour parler de cette distribution bénéfique de pouvoir est  »fractal ».)

Nous devrions décourager la concentration de pouvoir dans les grosses corporations,  »incluant une restriction sévère au lobbying », dit Taleb.  »Quand un pour cent de la population possède cinquante pour cent des revenus, nous avons affaire à une  »large extrémité » ». Les companies ne devraient pas pouvoir engranger des profits grâce au pouvoir du monopole,  »à la recherche de rentes » – utilisant ce pouvoir non pas pour construire, mais pour extraire une part encore plus large des surplus. Il devrait y avoir une meilleure distribution des pouvoirs d’état jusqu’à créer des gouvernements de comté, là où le contrôle et la responsabilité vont du bas vers le haut, et non l’inverse. Cela pourrait permettre à de nouvelles entreprises de voir le jour et d’encourager des méthodes d’éducation qui mettent l’accent sur  »l’apprentissage concret dans l’action et sur les apprenti.es » plutôt que sur une glorification de la certification académique pure et dure. Il pense ainsi que  »nous devrions avoir une Journée Internationale de l’Entrepreunariat ».

Cela dit, Taleb ne croit pas que les gouvernements devraient abandonner les citoyen.nes touché.es par des événements qu’ielles ne peuvent aucunement anticiper ou contrôler. (Il dédie son livre  »Skin in the Game » paru en 2018, à Ron Paul et Ralph Nader.)  »L’État », dit-il,  »ne devrait pas vous faciliter la vie, comme une mère libanaise, mais devrait pouvoir intervenir et vous aider en cas de crise, comme un riche oncle libanais. » En ce moment, par exemple, les gouvernements devraient, bien sûr, envoyer des chèques aux citoyen.nes sans emploi et aux travailleur.es autonomes. ( »Vous ne sauvez pas les compagnies, vous sauvez les individus. ») Taleb proposerait également un revenu minimum garanti, comme le suggère Andrew Yang, qu’il admire et a soutenu par le passé. Mais surtout, les gouvernements devraient être les assureurs principaux de la santé, bien que Taleb préfère ne pas avoir une assurance santé contrôlée par le fédéral mais plutôt par les gouvernements provinciaux, comme au Canada. Et, tout comme les dirigeant.es de compagnies fournisseuses, le gouvernement fédéral devrait créer des fonds pour empêcher que les systèmes de santé publiques soient en crise :  »Si le gouvernement peut dépenser des trillions de dollars pour entreposer des armes nucléaires, il se doit alors de dépenser des dizaines de milliards de dollars pour entreposer des ensemble de tests médicaux et des respirateurs artificiels. »

Du même coup, Taleb s’oppose catégoriquement à ce que les États puissent s’endetter de manière aussi colossale. Il pense que, au contraire, les riches devraient être taxé.es de manière aussi disproportionnée que nécessaire,  »mais aussi localement que possible. » La solution est de  »construire quand il y a abondance, » quand l’économie est florissante, et ainsi réduire la dette, ce qu’il appelle  »la dépossession intergénérationnelle ». Les gouvernements devraient alors encourager le développement de diverses normes de gestions gouvernementales : créer des frontières politiques, jusqu’au municipal, qui, dans le cas d’une urgence épidémique, pourraient être fermées ; forcer les banques et les corporations à avoir une plus grande réserve de liquidités de manière à ce qu’elles soient indépendantes en cas de trop grande volatilité ; tout en s’assurant que la fabrication, le transport, l’information et le système de santé aient suffisamment de matériel entreposés pour tenir le coup. ( »C’est pourquoi Mère Nature nous a donnée deux reins. ») Taleb est particulièrement en faveur d’entraver tout  »aléa moral », prenant en exemple les banquiers devenant riches en pariant, et perdant, avec l’argent des autres.  »Dans le code d’Hammurabi, si une maison s’écroule et vous tue, l’architecte sera mis à mort, », me dit-il. En équivalence, n’importe quelle compagnie ou banque qui reçoit l’aide du gouvernement doit s’attendre que ses dirigeant.es soient renvoyé.es et les actions vendues, en cas de faillite.  »Si l’État vous aide, ce sont les payeurs de taxes qui vous possèdent. »

Certains des principes de Taleb semblent être à peine plus que des expériences de pensées ou ne sont pas toujours compatibles les unes les autres. Comment pouvons-nous taxer plus localement, ou fermer les frontières d’un village ? Si les payeur.es de taxes possèdent les actions d’une société, cela signifie-t-il que les compagnies pourraient être nationalisées, fragmentées ou même régulées sévèrement ? Mais de demander à Taleb de décrire l’antifragilité de toutes les manières possibles revient à demander à Thomas Hobbes de résumer la souveraineté en une phrase. Le défi le plus important est de comprendre le danger pour lequel les solutions politiques doivent être conçues ou improvisées; la société n’a pas à endurer les résultats d’une gestion gouvernementale complaisante. « Il semblerait plus efficace de rentrer chez soi en voiture à deux cents milles à l’heure », m’a dit Taleb. « Mais il y a des chances que vous n’y arriviez jamais. »

https://www.newyorker.com/news/daily-comment/the-pandemic-isnt-a-black-swan-but-a-portent-of-a-more-fragile-global-system

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Traduction : Thomas Duret

Lien de l’article original paru le 21 avril 2020 :

https://www.newyorker.com/news/daily-comment/the-pandemic-isnt-a-black-swan-but-a-portent-of-a-more-fragile-global-system

Le monde après le coronavirus – Yuval Noah Harari

Photos couverture © Graziano Panfili

L’orage passera. Mais les choix que nous faisons maintenant changeront nos vies pour les années à venir.

La race humaine fait maintenant face à une crise globale. Peut-être la plus grande crise de notre génération. Les décisions que les gens et les gouvernements prendront dans les prochaines semaines formeront le monde dans lequel nous vivrons dans les prochaines années. Cela n’aura pas seulement un impact sur notre système de santé, mais également sur notre économie, nos politiques et nos cultures. Nous devons agir rapidement. Nous devons prendre en compte les conséquences à long terme de nos actions. Quand nous choisissons entre les alternatives, nous devrions nous demander non seulement comment affronter le danger immédiat, mais aussi dans quel monde nous habiterons une fois l’orage passé. Oui, l’orage passera, les êtres humains survivront, la plupart d’entre nous sera encore en vie – mais nous habiterons dans un monde différent.

Beaucoup de solutions à court terme deviendront les nouvelles bases de nos vies. C’est ainsi que l’on caractérise la nature des urgences. Elles accélèrent le développement du cours de l’histoire. Les décisions qui prendraient en temps normal des années à être délibérées sont acceptées en quelques heures. Des technologies immatures, voire parfois dangereuses, sont utilisées en toute hâte parce que le risque de ne rien faire est plus grand. Des pays entiers servent de cobayes dans des expérimentations sociales à grande échelle. Que se passe-t-il quand tout le monde travaille de chez soi et communique seulement à distance ? Que se passe-t-il quand des écoles et des universités entières suivent leur cursus en ligne ? En temps normal, les gouvernements, entreprises et conseils d’éducation n’accepteraient jamais de tels essais. Mais l’époque est en crise.

En ces temps-ci, nous faisons face à deux choix particulièrement importants. Le premier entre la surveillance totalitaire et le pouvoir aux citoyen.nes, le second entre l’isolement nationaliste et la solidarité globale.

SURVEILLANCE  »SOUS LA PEAU »

Afin de stopper l’épidémie, des populations entières doivent se soumettre à certaines lignes directrices. Il y a deux manières principales d’y arriver. La première est que le gouvernement puisse suivre les faits et gestes des citoyen.nes, puis de punir ceux.celles qui brisent les règles. Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la technologie permet de suivre n’importe qui en permanence. Il y a cinquante ans, le KGB ne pouvait suivre un.e citoyen.ne russe à plus de 240 mètres, 24h par jour et le KGB ne pouvait non plus procéder à analyser toutes les informations récoltées. Le KGB fonctionnait grâce à des agent.es humain.es et des analystes, et ne pouvait placer un.e agent.e derrière chaque citoyen.ne. Mais aujourd’hui, les gouvernements peuvent s’appuyer sur de puissants algorithmes et des senseurs extrêmement efficaces à la place d’Agent de la Peur en chair et en os. Dans leur bataille contre l’épidémie de coronavirus, plusieurs gouvernements ont déjà déployé de nouveaux outils de surveillance. Le plus remarquable est le cas de la Chine. En suivant de près les téléphones intelligents des citoyen.nes, utilisant par le fait même des centaines de millions de caméras à reconnaissance facial, et obligeant les citoyen.nes à déclarer leur température corporelle et leur condition médicale, les autorités chinoises peuvent non seulement identifier de potentiel.les porteur.euses du virus, mais aussi suivre leurs moindres déplacements et toutes personnes ayant été en contact avec les-dits sujets. Plusieurs applications permettent d’avertir les citoyen.nes s’ielles sont à proximité de personnes infectées.

Ce genre d’usage technologique n’est pas limité à l’Asie de l’Est. Le premier ministre Benjamin Netanyahu de l’État d’Israël a récemment autorisé l’Agence de Sécurité Israëlienne à déployer les technologies de surveillance normalement réservées dans leur lutte contre le terrorisme pour suivre les patient.es atteint du coronavirus. Quand le sous-comité parlementaire refuse avec pertinence d’autoriser une telle mesure, Netanyahu réplique avec un  »décret d’urgence ». Vous pourriez penser que tout ça ne change rien de l’ordinaire. Dans les dernières années, les gouvernements et corporations ont utilisé des technologies encore plus sophistiquées pour suivre et manipuler les gens. Si nous ne sommes pas prudent.es et alertes, l’épidémie pourrait permettre l’apparition de précédents dans l’histoire de la surveillance citoyenne. Non seulement cela pourrait normaliser le déploiement de masse de ces outils de surveillance dans des pays qui les avaient pourtant jusqu’ici rejetés, mais cela signifierait également une transition drastique de la surveillance  »extérieure » à une surveillance de  »l’intérieur ».

Auparavant, quand votre doigt touchait l’écran de votre téléphone intelligent et cliquait sur un lien, le gouvernement voulait savoir exactement ce sur quoi votre doigt appuyait. Avec le coronavirus, les intérêts changent. Maintenant, les gouvernements veulent connaître la température de votre doigt et votre pression artérielle en plus.

LE PUDDING DE L’URGENCE

Un des problèmes majeurs en ce qui concerne la surveillance citoyenne est que personne ne sait réellement comment nous sommes surveillé.es et ce que les années à venir peuvent amener comme problèmes. La surveillance citoyenne se développe à vitesse grand V, et ce qui nous semblait être de la science-fiction, il y a dix ans, est maintenant monnaie courante, voire déjà obsolète. Pour le plaisir de l’imagination, imaginez un gouvernement hypothétique qui demanderait que chaque citoyen.ne portent un bracelet biométrique qui permettrait de donner sa température corporelle et sa fréquence cardiaque 24h par jour. Les données seraient sauvagement récoltées et analysées par les algorithmes mis en place par le gouvernement. Les algorithmes sauraient que vous êtes malade avant même que vous le sachiez, en plus de savoir quels auront été vos déplacements et qui vous avez croisé. La chaîne d’infection pourrait être ainsi rapidement ralentie, voir même enrayée. Un tel système pourrait en effet stopper une épidémie en quelques jours. Ça serait parfait, non ? L’inconvénient est, bien sûr, que cela donnerait une légitimité à un terrifiant nouveau système de surveillance. Si vous savez, par exemple, que j’ai cliqué sur un lien de Fox News plutôt que sur un lien donné par CNN, cela peut vous apprendre quelque chose à propos de mes opinions politiques et peut-être même de ma personnalité. Si vous pouvez connaître les changements de température dans mon corps, ma pression artérielle et mon rythme cardiaque pendant que je regarde un vidéo clip, vous pouvez apprendre également ce qui me fait rire, ce qui me fait pleurer et ce qui me rend vraiment en colère.

Il est crucial de se rappeler que la colère, la joie, l’ennui et l’amour sont des phénomènes biologiques tout comme la toux et la fièvre. La même technologie qui peut identifier une toux peut identifier un rire. Si les corporations et gouvernements commencent à récolter nos données biométriques massivement, ielles peuvent apprendre à nous connaître bien plus que nous nous connaissons nous-mêmes, et ielles alors pourront non seulement prédire nos ressentis, mais également manipuler nos sentiments et nous vendre ce qu’ielles veulent – que ce soit un produit ou un.e politicien.ne. Le suivi biométrique ferait ressembler des tactiques utilisées par Cambridge Analytica comme datant de l’âge de pierre. Imaginez la Corée du Nord en 2030, alors chaque citoyen.ne devra porter 24h/24 son bracelet biométrique. Si vous écoutez un discours du Grand Dirigeant et que le bracelet note que vous êtes en colère à son écoute, vous êtes cuit. Nous pourrions, bien sûr, utiliser la surveillance biométrique de manière temporaire pendant un état d’urgence. Ainsi, une fois l’urgence passée, nous pourrions nous en débarrasser. Mais les mesures temporaires ont la très mauvaise habitude de résister au temps, spécialement quand il y a toujours la possibilité d’avoir une nouvelle crise au prochain tournant. Mon pays d’origine, Israël, par exemple, a déclaré un état d’urgence pendant la guerre d’Indépendance de 1948, ce qui a justifié tout un tas de mesures temporaires, allant de la censure de la presse et des confiscations territoriales à des règlements spéciaux quand à la manière de faire du pudding (ce n’est pas une blague). La Guerre d’Indépendance a été gagnée depuis longtemps, mais Israël n’a jamais mis fin à l’état d’urgence et a échoué à abolir les mesures dites  »temporaires » établies en 1948 (le décret d’urgence sur le pudding a lui été gracieusement aboli en 2011).

Même quand les infections du coronavirus approcheront le zéro, certains gouvernements voraces et friands de données personnelles pourront argumenter qu’ielles ont besoin de garder la surveillance biométrique en place parce qu’ielles craignent une deuxième vague, ou parce qu’il y a une nouvelle branche de Ebola évoluant en Afrique Centrale, ou encore parce que… vous avez compris. Un grand combat fait rage depuis les dernières années quant à l’accès à la vie privé des citoyens. La crise du coronavirus pourrait être la goutte qui fait déborder le vase. Parce que lorsqu’on donne le choix de la santé ou de la vie privée à une population, elle choisira en général la santé.

LA POLICE DU SAVON

Le fait de demander à une population de choisir entre vie privée et santé est, en effet, la cause du problème. Parce que c’est un faux choix. Nous pouvons et nous devrions pouvoir profiter des deux. Nous pouvons choisir de protéger notre santé et d’enrayer l’épidémie de coronavirus non pas en institutionnalisant un régime totalitaire de surveillance citoyenne, mais en éduquant et en donnant le pouvoir aux citoyen.nes. Dans les dernières semaines, les plus grands et fructueux efforts pour contenir l’épidémie ont été orchestrés par la Corée du Sud, Taïwan et Singapour. Même si ces pays ont accès à des applications dites de  »tracking » (suivi), leurs gouvernements ont décidé de s’appuyer sur des dépistages massifs, des rapports honnêtes et sur le gage de confiance de la coopération d’une population bien informée.

Le suivi de près et les punitions sévères ne sont pas les seules manières de faire en sorte que la population respecte les règles. Quand on donne des faits scientifiques aux gens et que les gens font confiance aux autorités publiques, les citoyen.nes peuvent faire la bonne chose sans avoir besoin d’avoir recours à Big Brother pour les suivre à la trace. Une population motivée et bien informée est plus souvent reconnue comme étant efficace qu’une population ignorante dirigée par un état policier. Prenons l’exemple du lavage des mains avec du savon. Cela a été une des plus grandes avancées humaine en matière d’hygiène. Ce simple geste sauve littéralement plusieurs millions de vies à chaque année. Bien que nous la tenions pour acquis, cette découverte faite par les scientifiques ne remonte qu’au XIXème siècle. Avant cela, même les médecins et infirmières procédaient d’une opération à une autre sans se laver les mains. Aujourd’hui, des milliards de personnes lavent leurs mains, non pas parce qu’ielles ont peur d’une potentielle  »police du savon », mais bien parce qu’ielles ont compris et intégré.es les bénéfices d’un tel geste. Je me lave les mains parce que j’ai entendu parler des virus et des bactéries, je comprends que ces micro-organismes causent des maladies et je sais que le savon permet de les détruire.

Mais pour atteindre un tel niveau d’acceptation et de coopération, nous avons besoin de confiance. Les gens ont besoin de faire confiance à la science, aux autorités publiques, aux médias. Dans les dernières années, des politicien.nes irresponsables ont délibérément décrédibilisé la science, dans les autorités publiques et dans les médias. Maintenant, les mêmes politicien.nes irresponsables pourraient être tenté.es de prendre la voie rapide vers l’autoritarisme, argumentant que nous ne pouvons faire confiance à la population pour faire la bonne chose ou non. Bien évidemment, la confiance a été brisée au fil des ans et ne peut pas se reconstruire en une seule nuit. Mais nous ne vivons plus dans des temps normaux. Dans un moment de crise, les pensées peuvent elles aussi évoluer rapidement. Vous pouvez avoir des relations toxiques avec votre famille, mais quand une urgence surgit, vous découvrez soudainement une grande réserve de confiance et de soutien, et vous vous dépêchez à vous entraider. Au lieu de mettre en place un régime de la surveillance, il n’est pas trop tard pour réparer la confiance du peuple envers la science, les autorités publiques et les médias. Nous devrions définitivement faire usage des nouvelles technologies, mais ces technologies doivent permettre aux citoyen.nes de se renforcer, de grandir. Je suis totalement d’accord de permettre le suivi de ma température corporelle et de ma pression artérielle grâce à un dispositif, mais ces données ne doivent pas être utilisées pour créer un gouvernement tout-puissant. Cette information devrait par contre me permettre de faire des choix personnels plus éclairés tout en tenant le gouvernement responsable de ses décisions.

Si j’avais le pouvoir de suivre ma condition médicale 24 heures par jour, j’apprendrais non seulement si je suis un danger pour la santé des autres, mais aussi quelles habitudes de vie contribuent à ma santé. Et si je pouvais avoir accès à des statistiques fiables sur le développement de l’épidémie et les analyser, je serais capable de juger si le gouvernement me dit la vérité et s’il met tout en place pour la combattre. Quand les gens parlent de surveillance, rappelons-nous que les mêmes technologies peuvent être utilisées également par les citoyen.nes pour suivre l’état des faits et actions de leur gouvernement. L’épidémie de coronavirus est donc un test majeur pour les citoyen.nes. Dans les jours à venir, chacun.e de nous devrait choisir d’avoir confiance envers les données scientifiques et l’avis des experts en santé plutôt que des théories conspirationnistes sans fondements et servant les politicien.nes peu scrupuleux.euses. Si nous échouons à faire le bon choix, nous risquons de laisser partir nos plus précieuses liberté en pensant que cela est la seule manière de sauvegarder notre santé.

NOUS AVONS BESOIN D’UN PLAN GLOBAL

Le second choix important auquel nous devons faire face concerne l’isolement nationaliste et la solidarité globale. L’épidémie actuelle et la crise économique à venir sont tous deux des problèmes globaux. Ils peuvent être résolus efficacement seulement par une coopération globale.

Tout d’abord, et le plus important, nous devons partager l’information globalement si nous voulons vaincre le virus. C’est un énorme avantage que l’être humain a envers les virus. Un coronavirus en Chine et un autre aux USA ne peuvent pas s’échanger d’informations sur comment mieux infecter les êtres humains. Par contre, la Chine peut enseigner aux USA de très bonnes leçons sur le coronavirus et comment le gérer. Ce qu’un médecin italien découvre à Milan en matinée peut sauver plusieurs à Téhéran en soirée de la même journée. Quand l’Angleterre hésite entre plusieurs politiques d’approche, elle peut se nourrir des avis données par les Sud-Coréens qui ont du faire face à un dilemme semblable un mois plus tôt. Mais pour que cela arrive, nous avons besoin de voir les choses de manière globale, en coopérant et en instaurant un lien de confiance. Les pays devraient être prompts à partager ouvertement l’information pertinente et à chercher des avis humblement, et devraient faire confiance aux données et aux conseils reçus. Nous avons également besoin d’un effort global pour produire et distribuer du matériel médical, particulièrement des ensembles de test et des machines d’assistance respiratoire. Au lieu que chaque pays s’occupe de sa propre charge localement et s’approprie littéralement toutes les ressources pour son propre bien, un effort global et bien coordonné pourrait permettre l’accélération de la production et assurerait que les équipements nécessaires à la survie d’êtres humains vulnérables puissent être distribués plus justement. De la même manière que des pays ont nationalisé des industries clés pendant la guerre, la présente crise aurait besoin que l’on humanise plus la ligne de production d’équipement crucial. Un pays riche ayant peu de cas devrait pouvoir prêter de précieux équipements à un pays plus pauvre ayant beaucoup plus de cas en ayant confiance que si le pays riche a besoin d’aide à son tour, d’autres pays pourront lui venir en aide.

Il est possible de considérer qu’un effort global similaire soit nécessaire pour pallier au manque de personnel médical. Les pays à ce jour les moins affectés pourraient envoyer ce personnel médical dans les régions les plus touchées dans le monde, non seulement dans le but d’aider les gens dans le besoin, mais également dans le but d’accumuler une expérience d’une grande valeur. Si plus tard l’épidémie changeait d’emplacement sur la planète, l’aide pourrait venir de la direction opposée. La coopération globale est vitale aussi d’un point de vue économique. Étant donné la nature globale de l’économie et de la chaine d’approvisionnement, si chaque gouvernement opère comme bon lui semble en ignorant complètement les autres, le résultat ne sera rien d’autre que le chaos et une crise encore plus lourde. Nous avons besoin d’un plan d’action global et nous en avons besoin rapidement.

Un autre grand besoin à ne pas ignorer concerne un accord sur les voyages longues distances. Suspendre tous les vols internationaux pour les mois à venir demandera beaucoup d’efforts et entravera l’évolution du virus. Les pays doivent coopérer afin de permettre à un certain nombre de travailleurs.euses essentiel.les de continuer à traverser les frontières : scientifiques, médecin.es, journalistes, politicien.nes, gens d’affaires. Cela peut avoir lieu en créant un accord global sur le filtrage des voyageur.euses en fonction de leur provenance. Si vous savez que les voyageur.euses passent à travers un processus rigoureux lorsqu’ielles voyagent, vous serez plus enclin à les accepter dans votre pays. Malheureusement en ce moment les pays ne font presque aucune de ces choses. Une paralysie collective a pris de court la communauté internationale. Il n’y a pas l’air d’y avoir d’adultes dans la pièce. Nous nous serions attendus à ce qu’une rencontre d’urgence soit mise sur pied avec les dirigeant.es globaux afin d’établir un plan d’action. Les dirigeant.es du G7 n’ont trouvé de moyen de se réunir par vidéo conférence que cette semaine (20 mars – ndt), et n’ont établi aucun plan du genre.

Dans les crises globales précédentes, comme la crise financière de 2008 ou sanitaire d’Ebola en 2014, les USA ont assumé le rôle de dirigeant global. Mais l’administration actuelle des USA semble avoir abdiqué. L’administration a été très claire en ce sens que ce qui comptait, c’était le futur et la grandeur de leur propre pays et rien d’autre, surtout pas le futur de l’humanité. Cette administration a abandonné ses allié.es les plus proches. Quand les voyages en provenance de l’Europe ont été annulés, les USA n’ont pas donné un avis d’avance – laissant l’Europe avec ces mesures drastiques. L’Allemagne a été scandalisée quand la même administration Américaine a offert un milliard de dollars à une compagnie pharmaceutique allemande afin acheter le droit de monopole d’un nouveau et potentiel vaccin contre le Covid-19.

Même si l’administration actuelle change éventuellement de manière de faire et arrive avec un plan d’action global, peu de dirigeant.es seront enclins à suivre un dirigeant qui ne prend jamais de responsabilités sur les épaules, qui n’avoue jamais ses erreurs et qui, quotidiennement, s’approprie tout le crédit en rejetant le blâme sur les autres.

Si le vide laissé par les USA n’est pas rempli par les autres pays, non seulement il sera plus difficile de stopper l’épidémie actuelle, mais les dégâts continueront a posteriori d’empoisonner les relations internationales pour les années à venir. Pourtant, chaque crise est une opportunité. Il faut espérer que l’épidémie actuelle aidera l’être humain a réaliser les grands dangers que représentent l’isolement nationaliste.

L’humanité doit faire un choix. Voyagerons-nous sur la voie de la désunification, ou choisirons-nous le chemin de la solidarité globale ? Si nous choisissons la désunification, cela ne contribuera pas qu’à prolonger la crise, mais cela résultera en de bien pires catastrophes dans le futur. Si nous choisissons la solidarité globale, ce sera une victoire non pas seulement envers le coronavirus, mais envers toutes les futures épidémies et crises qui pourraient prendre d’assaut la civilisation humaine au XXIème siècle.

Yuval Noah Harari est l’auteur de  »Sapiens »,  »Homo Deus » et  »Vingt et une leçons pour le XXIème siècle ». Copyright © Yuval Noah Harari 2020


Traduction de Thomas Duret

Correction de Stéphanie Duret

Lien original :

https://www.ft.com/content/19d90308-6858-11ea-a3c9-1fe6fedcca75?fbclid=IwAR0PyA1A2SAJ9L3fDrH7-8tdhv0qb89ak4_wKYy_DdqBu56BzNugptnzP8o